Littérature : romans, poésie (extraits)

Tout est vrai

Tu es à l’épicerie, impatient que la nuit vienne. Ce soir, ton fils rentre pour les vacances. Une semaine avec lui, que tu attends depuis des mois. La nuit tombe tôt. Tu parles avec un client lorsque la cloche de la porte sonne. Ce n’est pas Simon. Tu n’as aucune raison de le faire, parce qu’il n’est pas encore l’heure qu’il arrive, mais tu t’inquiètes. Tu imagines autant de situations qui le mettraient en danger. Il est seul maintenant. Et par seul, tu veux dire : sans toi, donc sans ta protection. Alors que, soyons clairs Pablo, dans les situations périlleuses que tu imagines là, tu ne lui serais d’aucune aide. Peut-être éviterais-tu seulement, par précaution, que la situation ne se présente. Oui pas de voyage, pas d’accident. Pas de marche, pas d’attaque ni d’hommes en noir. Mais voilà ton fils est jeune, il cherche quelque chose, il n’a pas peur. Tu l’as préservé de la peur. développer

Boaz

Longtemps, il t’a serré contre lui. Et puis il s’est levé. Il te sourit et il court vers la chambre de sa sœur à côté. Elle s’agace qu’il déboule, comme ça, sans précaution, et dit dans un sourire que d’accord, elle partira avec lui à la plage. Il revient dans la chambre où tu te changes, il faut mettre des vêtements déjà usés, c’est jour de bricolage. Il ferme la porte, se met nu devant toi, nu cherche son maillot – « tu as vu mon maillot ? » – qu’il finit par trouver, qu’il enfile. Il te lance un sourire infini et disparaît comme il est apparu, en coup de vent. Tu le retrouves sur le perron de la maison, tandis que vous brossez les volets avant de les peindre. Sa sœur le tient par le bras, cabas en raphia à l’épaule. Ils disparaissent sous vos yeux amusés. développer

Sans qu’aucun matin

Passez les jours. Et les jours – les semaines sont passées, où vous avez parfait le détail de vos danses, au pas près – de votre quotidien. Tout commence avec un bip, un son unique et répété à rythme régulier, assez rapide, sur la montre de Rivière. L’élémentarité du son contraste avec le raffinement du bijou. Et Rivière porte le poignet à ses yeux qu’il ouvre comme s’il ne dormait déjà plus. Il tapote sur l’écran. Le bip s’arrête. Il dort sur un côté du lit, désormais. Tu t’es mis au milieu. Tu as compris qu’il se lève tôt. L’astreinte de son programme, chaque jour, sauf le dimanche. Rivière s’assoit au bord du lit, il te regarde et il se lève, beau comme il est, le corps tendu. Il marche, pieds nus, jusqu’à la salle de bains où il se met nu, pour la douche. Il frotte son corps, longtemps, sous la douche. La buée trouble la vision, dans la salle de bains. Le miroir, couvert de buée qu’il essuie lorsqu’il s’est essuyé, après la douche, il se rase et puis se coiffe, serviette autour de la taille. Retirer la serviette, le boxer, le son du foehn dans les cheveux, déodorant sous les aisselles après le t-shirt qu’il atomise de parfum. Le pantalon, les chaussettes. Il est prêt. développer

Providence

C’était il y a trois jours. Le dimanche, vous n’avez pas parlé. Tu es resté avec ton père et Jude. 

Le lundi, tu as attendu d’être seul avec elle, et gêné as demandé pardon et elle t’a regardé, amusée et surprise. Elle t’a souri. Tout allait bien. Hier, le mardi, vous avez été heureux, ensemble. Et ce matin, tu sors du car. 

À l’entrée du lycée, tu croises Alice que tu embrasses. Tu croises d’autres amis dont je n’ai pas parlé. Tu les salues, fraternel et joyeux, car tu aimes que le ciel soit limpide. En longeant le premier bâtiment, tu distingues la silhouette de Victor et tu dis à Alice et aux autres que tu reviens très vite et ils te voient entrer, dans la bibliothèque. Ils te voient approcher de Victor, doucement, le surprendre quand tu mets tes mains froides sur ses yeux, et quand il se retourne, le prendre dans tes bras, l’embrasser, sur le front, sur les joues. Puis dans la salle de classe, après que tu as embrassé Alice, au pied de l’escalier, tu travailles. Tu assistes au cours du professeur auprès duquel tu aimes passer du temps, après le cours. Et aujourd’hui, tu es joyeux, oui, tu es complet et transporté, parce que tu sais que tout, autour de toi, s’équilibre. Mais ce que tu ignores, c’est que demain, tu auras perdu tes deux parents. développer

Valéry, manifeste

Entrer dans un foyer, pour toi, constitue une épreuve. Un foyer, à tes yeux, c’est un lieu de violence, où les mots échangés sont trop durs ou trop froids, trop souvent excessifs ou injustes, et alors tu y gardes le silence, fuyant les prédateurs comme ceux qui sont chassés. Mais dans cette maison, où tu rentres tout juste, tu ne pressens aucune hostilité. Et lorsque tu vois Valéry et son père, au contraire, agir auprès de l’autre, tu perçois un homme bon, qui semble aimer son fils et ça t’émeut, bien sûr. D’observer de tes yeux et réel ce qui ressemble à un mensonge, à une image de film. Lentement tu avances dans la maison et d’abord, ce qui te frappe, c’est l’ordre. Bien sûr il y a des cartons. Ils viennent d’emménager. Mais ce qui est sorti, et qui semble compter — précieux, est soigneusement rangé, disposé sur des meubles. Et puis tu vois quelques photos, sur une petite table, dans le salon. Et le père vous demande si vous avez mangé. Valéry dit que non. « Mettez la table, alors, je prépare quelque chose. » développer

Mickaël-monde

Bonjour Miki,

Hier soir, le jeudi, ton ami a dormi dans ta chambre et puis toi dans ses bras. Un peu plus tôt, l’après-midi, que tu avais passée, à jardiner avec ton père, tu semblais absenté et ton père n’a rien dit. Il a compris que votre échange, un peu plus tôt, t’avait frappé, sans bien comprendre pourquoi. Ou peut-être que si, mais alors il n’a pas su trouver les mots justes pour te dire. Et ce matin, vous avez travaillé, tous les trois ou plutôt tu les as observés travailler tous les deux tout en faisant ta part sur les courts de tennis, machinal. Et tu as vu ce que tu avais su, la veille. Qu’Albert désire — apprendre, faire. Et la mélancolie n’a pas duré longtemps, non ce n’est pas ton genre. Tu as plutôt analysé — leurs gestes, leurs regards. Et tu t’es souvenu de cette conversation avec Albert, la veille, le soir, lorsque tu lui avais demandé pourquoi il souhaitait vous aider, comme ça. Qu’il t’avait répondu, surpris que tu demandes, qu’il doive se justifier, pensant même un instant déranger, qu’il n’a rien d’autre à faire, qu’il aime parler avec ton père, et rester près de toi. Que tu lui avais dit que tu étais heureux aussi, avec lui, près de toi. développer

littérature, Romain Kronenberg