Littérature : romans, poésie (extraits)
Tout est vrai
Tu es à l’épicerie, impatient que la nuit vienne. Ce soir, ton fils rentre pour les vacances. Une semaine avec lui, que tu attends depuis des mois. La nuit tombe tôt. Tu parles avec un client lorsque la cloche de la porte sonne. Ce n’est pas Simon. Tu n’as aucune raison de le faire, parce qu’il n’est pas encore l’heure qu’il arrive, mais tu t’inquiètes. Tu imagines autant de situations qui le mettraient en danger. Il est seul maintenant. Et par seul, tu veux dire : sans toi, donc sans ta protection. Alors que, soyons clairs Pablo, dans les situations périlleuses que tu imagines là, tu ne lui serais d’aucune aide. Peut-être éviterais-tu seulement, par précaution, que la situation ne se présente. Oui pas de voyage, pas d’accident. Pas de marche, pas d’attaque ni d’hommes en noir. Mais voilà ton fils est jeune, il cherche quelque chose, il n’a pas peur. Tu l’as préservé de la peur. développer
Tu mets un peu de temps à trouver la serrure. Pourtant sa place n’a pas bougé. Ton fils entre derrière toi. Tu poses les clefs sur le guéridon, toujours le même son, et autres gestes quotidiens rendus inédits par la présence de ton fils, que tu n’avais pas vu depuis plusieurs mois, qui a grandi, qui a changé. Il pose son sac à dos à côté du fauteuil jaune. Tu préférerais qu’il le range tout de suite dans sa chambre, mais tu ne dis rien. Vous échangez des mots du quotidien. « Tu as fait bon voyage ? » « Tout se passe bien à l’épicerie ? » « Tu voudrais manger quoi ? » Vous mangez. Il parle moins que d’habitude. Mais quelle habitude, quand tu ne l’as pas vu depuis des mois ? Vous vous apprivoisez. Il faut comprendre, Pablo. Qu’il découvre le monde, maintenant. Que l’énergie qui l’anime le pousse vers le dehors. Et que chez toi — chez vous si tu préfères, il est rentré. Que ce n’est pas simplement le retour de ton fils que tu accueilles ce soir. Mais aussi l’extérieur qu’il porte désormais en lui. Vous avez fini de manger. Vous débarrassez la table de la cuisine. Il t’aide à laver la vaisselle. Vous êtes heureux mais vous avez oublié comment faire. Il va dans le salon et s’assoit sur le canapé jaune, à côté de son sac. Tu ranges encore quelques assiettes. Tu le rejoins. Tu t’assois. Sourires gênés. Pablo, c’est ton fils… À côté du canapé où tu t’es assis, il y a une petite boîte en fer. Tu l’attrapes, tu l’ouvres et tu en extirpes une cigarette, pour toi. Ton fils te regarde, offusqué que tu fumes. Disons-le, tu ne fumes pas vraiment. Que pour les grandes occasions. Mais tu aimes l’odeur de la fumée. L’odeur sur les doigts. À ce moment précis, tu me surprends beaucoup. Et tu le surprends bien plus. Tu demandes à ton fils qu’il ouvre la fenêtre. Il se rassoit sans te lâcher des yeux. Sans la lâcher, tu lui tends la boîte en fer. Il hésite. Il hésite vraiment. Que vous êtes touchants. Que tu es touchant, à parler sans mots. Et enfin il accepte, tend le bras et tente maladroitement de prendre une cigarette. Pour l’aider, tu appuies sur le filtre de l’une d’entre elles. Il peut l’attraper par l’autre extrémité. Tu lui tends la flamme du briquet, dans ta main. Il se penche vers toi. Il fume. Tu allumes la tienne également. Tu lui souris. Pablo… À cet instant précis, ton fils comprend qu’il ne sait pas tout de toi. Il comprend aussi que tu inclus son dehors dans ton monde. Que tu l’accueilles. Tu lui demandes qu’il te raconte sa vie, là-bas. Il se met à parler, sans relâche. Tu as retrouvé la tempête. Il vient seulement d’arriver.
Le lendemain, l’épicerie reste fermée. Depuis quelques semaines, tu as prévenu les clients. Que ton fils rentre. Tout le quartier le sait. Que tu veux le voir, tout un week-end. Tu pourrais dormir tard, mais ton corps est tellement habitué à se lever, chaque jour, à la même heure. Alors tu te lèves aux premières lueurs du jour et sors chercher des croissants. Jour de fête. La tempête. Tu rentres et tu le vois, pantalon léger torse nu dans la cuisine. Il prépare le café. Il se tourne vers toi. « Bonjour ». Large sourire. Il te sert, fier de prendre ta place. D’alléger la liste de tes tâches. Il se sert aussi. Ton fils boit du café. La tempête boit du café. Ça promet. Il disparaît et puis revient, un paquet de cigarettes à la main. Hésitant, il te tend le paquet. Toi, tu n’en veux pas. Il te demande, inquiet, si ça te gêne qu’il fume. Bien sûr que ça te gêne, Pablo. De savoir que ton fils respecte désormais d’autres règles que les tiennes. Mais c’est à cela que tu l’as élevé, non ? Alors tu dis que non, ça ne te gêne pas. Il sourit, heureux, vraiment, et va à la fenêtre fumer, tasse de café à la main. Image de film. Tu le regardes et tu es fier. Filet sonore qui s’échappe de la radio. Vous écoutez les nouvelles, en adultes.
D’habitude, tu laisses le monde, dehors, à la porte de chez toi. Bien sûr il y a les nouvelles, la radio. Mais tu les vois comme un écho, une rumeur, le bruit dans la rue, en bas de l’immeuble. Tout ça ne t’atteint pas. Pour ton fils c’est différent. Lui, il vient du dehors. Pendant les quelques mois où vous ne vous êtes pas vus, il a vécu les nouvelles. Il y a participé, à sa manière. Il te parle de ce qui se passe dehors, à travers ses propres yeux. Tu l’écoutes. Allons au but, Pablo. Tu te vois aussi en lui, tel que tu étais avant ce moment sur la dalle, où tu t’es éteint. Lorsque tu chantais le monde. Comme si ton fils reprenait où tu t’es arrêté.
Le soleil traverse les nuages. Il vous appelle dehors. Et Simon ne veut qu’une chose. C’est partir avec toi, au volant de la petite voiture rouge. Mais deux jours consécutifs, ça n’aurait pas de sens. Et demain c’est dimanche. On ne bouscule pas ensemble toutes les habitudes. Alors vous marchez. Au bord de la Seine, où nous avons couru. Ce banc où tu t’es souvent assis, avec Isaac. Avec Rebecca aussi. Rebecca, la mère de ton fils. — Je ne trouve pas les mots que tu emploies pour le dire à Simon. Je ne sais pas comment tu la nommes. Comment peux-tu la nommer ? Soit trop distant, soit trop puéril. Par son prénom, peut-être. Mais je n’ose pas. — Vous quittez les bords de la Seine, et vous prenez des rues de libraires. Simon vous arrête plusieurs fois. Il cherche des livres. Il en trouve quelques-uns, et d’autres qu’il ne cherchait pas. Tu n’as pas le temps de sortir ton portefeuille qu’il a déjà payé. Tu t’insurges. Il insiste. Le sourire du vendeur. Ton fils travaille, désormais, petit boulot sans intérêt, sinon celui de sa fierté. Mais ne t’inquiète pas, Pablo. Tout ne change pas si vite et ton fils a déjà une faim de loup. Du temps d’Isaac, tu as gardé le souvenir de ruses grâce auxquelles tu réglais l’addition. Cette fois, c’est toi qui gagnes. Un nouveau jeu, donc. Il y a du monde dans les rues, auquel tu échappes d’habitude, à l’épicerie ou en voiture. Vous marchez encore. Il te parle de ses objets d’étude. Il te parle de luttes. Le mot est fort, dans la bouche de ton fils. Tu l’interroges, inquiet. Un jour, dans le journal, peu avant la fin, tu liras ses pensées. Il dira de grandes choses. Tu découperas les articles. Tu les mettras au mur, près du comptoir, à l’épicerie. Tu reverras ton fils qui court, enfant, parmi les rayons, choyé par les clients. Tu mesureras l’écart. Un genre d’écart vertigineux. On peut s’y perdre. Y perdre la mesure des choses, qui est si personnelle. Tu sais désormais que ton fils ne reprendra pas l’épicerie. Ça n’aurait pas de sens. L’épicerie d’Isaac, ton refuge… Mais alors qui ? Vous rentrez avant que la nuit tombe.
Le soir se passe sans idées noires. Vous êtes joyeux à l’idée que demain est dimanche. Après le repas, vous vous asseyez, dans le salon. Un instant passe, où Simon ne dit rien, souriant. Il attend que tu prennes la petite boîte métallique. Vous fumez. En l’espace d’une journée, vous avez inventé un rituel qui raconte, comme aucun autre, comment votre relation a changé. Que ton fils est un homme. Vous vous couchez. Le sommeil ne vient pas tout de suite. Tu penses à ton fils et aux luttes. « Bonjour » vous dites-vous, heureux que vous êtes, le lendemain matin. Matin de dimanche. Soleil dégagé. Voiture rouge. Il fait chaud dans la voiture. Ton fils conduit, à sa manière. Il ne vitupère pas toujours. Vous allez où jamais vous n’êtes allés. Il faut créer d’autres souvenirs. Éviter de mesurer l’écart. Aller devant soi. Autant dire que tu laisses faire ton fils, toi qui ne vis que d’habitudes et de cycles. Alors il fonce, l’air de dire : on verra bien. Vous déjeunez en pleine nature, au bout d’une route. Tu n’as pris ni chaise, ni table, ni verre en verre. Pour éviter de mesurer l’écart. Vous rentrez. Simon gare le bolide près de l’épicerie. Un dîner, une cigarette, la nuit. Tu sais qu’il restera encore un peu. Il t’aidera à l’épicerie, même si tu n’as pas besoin d’aide. Les clients les plus anciens, et ils sont nombreux, reconnaîtront son visage. Ils lui raconteront son enfance, à l’épicerie. Des souvenirs qu’il n’a pas. Certains que tu lui as déjà dits. Tu seras fier de ton fils. Et quelques jours plus tard il partira. Tu pleureras et après le dîner, tu allumeras une cigarette en pensant à lui. Où il est, il fait comme toi. (extrait)
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Boaz
Longtemps, il t’a serré contre lui. Et puis il s’est levé. Il te sourit et il court vers la chambre de sa sœur à côté. Elle s’agace qu’il déboule, comme ça, sans précaution, et dit dans un sourire que d’accord, elle partira avec lui à la plage. Il revient dans la chambre où tu te changes, il faut mettre des vêtements déjà usés, c’est jour de bricolage. Il ferme la porte, se met nu devant toi, nu cherche son maillot – « tu as vu mon maillot ? » – qu’il finit par trouver, qu’il enfile. Il te lance un sourire infini et disparaît comme il est apparu, en coup de vent. Tu le retrouves sur le perron de la maison, tandis que vous brossez les volets avant de les peindre. Sa sœur le tient par le bras, cabas en raphia à l’épaule. Ils disparaissent sous vos yeux amusés. développer
Il te manque déjà, mais tu es bienheureux de passer un peu de temps, seul avec Amos. Tu aimes sa présence, ses conseils, la sensation que produit dans ton cou sa main sur la tienne quand il te montre comment on brosse le bois, dans le sens des veines, attention, pour ne pas le blesser. Cette sensation, sans contact donc, qui vient du ciel, te dis-tu. Amos est bienheureux, lui aussi, de retrouver son garçon. Tu es ce garçon et vous venez de loin. Boaz, il va falloir en parler, on ne peut pas esquiver…
Dans un instant, d’accord, après que vous aurez acheté des pinceaux au commerce, au bout de la route. Amos va dans la maison, chercher un peu d’argent. Vous fermez le portail. Vous marchez, côte à côte, sur le gravier de la route. Vous ne parlez pas. Vous regardez autour de vous. Les maisons aux couleurs vives. Les pots de terre où poussent des arbres à fleurs. Un petit carrefour. Route de goudron, sinueuse, en surplomb de la mer. Vous regardez la mer, la plage en contrebas, mouchetée d’hommes. Tu penses à Malachie et Deborah, qui sont là, quelque part. Tu les cherches et tu sais pourtant que tu ne les trouveras pas. Une voiture passe à côté de vous et s’arrête brusquement. L’homme, au volant, tourne la tête, sourit dans votre direction en faisant un grand signe de la main. Vous répondez. La voiture repart aussitôt.
Bientôt l’îlot de commerces, au croisement de deux routes. Une boucherie, une épicerie, la pharmacie et une droguerie où vous entrez. La femme, au comptoir, est absorbée dans ses papiers. Un instant passe. Elle lève la tête, croise ton image. Son regard se fige un instant et elle te lance un sourire radieux. D’un geste elle quitte le comptoir et s’avance vers vous. Elle salue Amos, émue se tient devant toi, te scrute un instant et t’embrasse tendrement. Toi, tu te laisses faire. Tu t’abandonnes à son étreinte. Elle te parle d’une voix enjouée et tu ne comprends que quelques mots, en souvenir des années précédentes.
Amos échange quelques mots avec elle. « Nous venons d’arriver », dit-il en italien. Il choisit deux pinceaux, paie la femme et la salue. Elle vous raccompagne à la porte et s’engouffre aussitôt dans le commerce voisin où elle lance d’une voix forte : « È arrivato ». Les gens sortent, la femme pointe son doigt dans votre direction. Tous vous regardent un instant. Toi tu ne les vois pas. Tu leur tournes le dos. Ils te lancent des bonjours italiens.
Tu t’es retourné, juste la tête, posture sculpturale. Entre eux et toi, sourires aussi gênés que sincères. Tu laisses Amos un instant et tu t’avances vers eux. Chacun t’embrasse. Toi, tu t’abandonnes à eux. Un enfant te prend dans ses bras, ses bras autour de tes hanches, la tête contre ton ventre. Tu poses ta main sur sa tête. Tu balbuties quelques mots, vous souriez toujours, tu fais des gestes de peintre auxquels ils ne comprennent sûrement rien. « Je vais peindre les volets » leur lances-tu, enthousiaste. Tu te tournes vers Amos qui te regarde tendrement parmi eux. Tu lui demandes comment on dit peindre. Tu répètes peindre en italien, mais sans le conjuguer et tu les laisses. Ils n’auront rien compris mais c’était bien de faire le geste. Tu rejoins Amos et vous partez.
Tu ne les vois pas, mais ils restent là, à te regarder partir en parlant, exaltés. Vous marchez jusqu’à la maison où vous repeignez finalement les volets. Autant dire qu’un seul jour ne suffira pas. Il vous en faudra trois. Malachie ne t’en voudra pas. Boaz, il est temps. (extrait)
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Sans qu’aucun matin
Passez les jours. Et les jours – les semaines sont passées, où vous avez parfait le détail de vos danses, au pas près – de votre quotidien. Tout commence avec un bip, un son unique et répété à rythme régulier, assez rapide, sur la montre de Rivière. L’élémentarité du son contraste avec le raffinement du bijou. Et Rivière porte le poignet à ses yeux qu’il ouvre comme s’il ne dormait déjà plus. Il tapote sur l’écran. Le bip s’arrête. Il dort sur un côté du lit, désormais. Tu t’es mis au milieu. Tu as compris qu’il se lève tôt. L’astreinte de son programme, chaque jour, sauf le dimanche. Rivière s’assoit au bord du lit, il te regarde et il se lève, beau comme il est, le corps tendu. Il marche, pieds nus, jusqu’à la salle de bains où il se met nu, pour la douche. Il frotte son corps, longtemps, sous la douche. La buée trouble la vision, dans la salle de bains. Le miroir, couvert de buée qu’il essuie lorsqu’il s’est essuyé, après la douche, il se rase et puis se coiffe, serviette autour de la taille. Retirer la serviette, le boxer, le son du foehn dans les cheveux, déodorant sous les aisselles après le t-shirt qu’il atomise de parfum. Le pantalon, les chaussettes. Il est prêt. développer
Sur le chemin, de la salle de bains jusque dans la cuisine, Rivière traverse la grande pièce. Il s’y arrête, un instant, vous regarde dormir, un instant. Odeur de nuit. Beauté sur vos visages, calme total qui contraste avec le jour et il vous laisse, dans la cuisine entame les préparations diverses, pour le petit-déjeuner. Mettre l’eau à bouillir, pour le café. Sortir trois œufs d’une boite, les casser puis les battre, dans un bol. Un peu de sel, une gorgée d’eau. Il moud le café, plus grossièrement que d’habitude parce que depuis la veille, il prépare le café dans une machine nouvelle. Autre recette. L’eau bout. Il baisse le feu, dessous. Il reste là, tranquille, devant la gazinière, sans rien faire. Parce qu’il sait, qu’au vacarme du moulin, tu te réveilles. Que tu te retournes, dans le lit. Que tu te glisses là où il dort – et tu aimes le contact de ton visage sur le parfum de l’oreiller, où il dort. Que la fraîcheur du drap, laissée par son absence, achève en général de t’extraire du sommeil. Que tu te mets, assis, sur le bord de ton lit, que tu frottes ton visage. Bonjour, Simon, et puis que tu te lèves. Que tu t’étires. Que tu regardes Mircea dormir, paisible. Et que ton geste prochain est pour lui. Tu marches sur le sol frais, jusque dans la cuisine où tu le vois de dos, debout, devant la gazinière. Tu t’avances vers lui et tu l’enlaces. Ton torse collé à son dos, la chaleur de ta nuit collée à son dos, les bras autour de sa taille, les mains sur son ventre. Et tu reposes ta joue sur son épaule, et tu rejoues la nuit. Tu feins de rejouer la nuit. Il tourne la tête vers toi. Il ne peut pas te voir, il le sait, mais ainsi il atteste ta présence, et le sourire sur son visage le bonheur à te voir. Un instant passe ainsi et vos corps qui s’animent. Le sien d’abord. Mettre du beurre, dans la poêle, et puis le feu dessous. Tu t’assois à la table, à côté. Il y installe le matériel, pour la préparation du café qui arrive. Les œufs dans la poêle, où le beurre a fondu. Il verse l’eau bouillante, de la casserole jusque dans le récipient en verre – un genre d’erlenmeyer, sur la table. Il fixe l’autre récipient en verre, dessus où il verse le café, sur le filtre. Tu le regardes faire. La netteté de ses gestes où ton esprit se dégourdit. Il allume le réchaud, le son du gaz qui s’échappe du réchaud, sous la cafetière. Et l’eau encore presque bouillante qui frémit de nouveau. Tu regardes le spectacle, l’eau monter, d’un récipient à l’autre, qui se mêle au café, qui brunit. Il faut attendre soixante secondes, t’a-t-il dit, la première fois. Et soixante secondes plus tard, il coupe le gaz, dans le réchaud et le liquide, dans le récipient haut, retourne bruni dans le récipient bas. L’odeur du café, dans la cuisine, le sourire sur ton visage, le plaisir de ce jeu. Il sort trois tasses, il sert trois tasses. Et trois assiettes avec les œufs. A ce moment précis, quand tout est prêt, il sait que tu étires ton corps, que tu couches ton visage, sur la table, sur le côté, que tu allonges un bras le long de la table, pour sentir la fraicheur. Il sait qu’ensuite tu te redresses et que tu le regardes, affamé. Tu manges les œufs, bois le café.
— « Tu dois vraiment te lever, comme ça, tous les jours, à la même heure ? » lui lances-tu, souriant, comme les autres jours.
Tu aimes entendre sa réponse. Et il t’explique que les statisticiens sont formels. Que se lever à heure fixe favorise la santé, augmente la concentration.
— « Mais se lever à heure fixe, ça ne veut pas dire se lever tôt, si ? »
Il te sourit, il remet tes cheveux, il te fait beau.
Lorsqu’il se prépare à partir, chaque matin, assis au bord du canapé, qu’il enfile ses chaussures, qu’il lace, double nœud, tu es devant l’écran de ton PC, tasse de café à la main. Tu travailles. Il regarde ses chaussures, te regarde de dos, les bras nus. Il se redresse, s’avance vers toi et debout, derrière toi, les mains posées sur tes épaules, se baisse et embrasse tes cheveux. Parfois d’un geste de la main il caresse ton visage. Il te laisse. Il s’avance vers le lit. Ses chaussures lourdes, noires, près du lit, du côté de Mircea. Il s’accroupit. Il pose la main sur son épaule qu’il agite légèrement. Mircea, il faut te lever. Mircea gémit. Il se plaint.
— « Mais qu’est-ce qu’il a celui-là, il est fou ! » dit-il en se tournant.
Tourner le dos à Rivière, lui dire que non, il ne se lèvera pas, il aime trop être au lit.
Rivière se redresse, il te regarde, te sourit. Votre complicité, les réveillés. Il s’apprête à partir, attrape les clefs, son sac à dos et Mircea s’est levé. Il est debout, comme un zombie, les yeux encore fermés il s’avance vers Rivière qu’il prend dans ses bras, qu’il étreint. Tu les regardes ému. Rivière caresse ses cheveux, caresse son dos, pour le ramener au jour et il le lâche. A tout à l’heure. Il laisse Mircea au milieu de la grande pièce, les bras ballants, encore plongé dans le sommeil. Parfois Mircea va faire pipi. Parfois il se recouche. Parfois il va dans la cuisine, chercher le café déjà prêt, qu’il verse dans sa tasse. Et il retourne dans la grande pièce.
— « Il n’a toujours pas compris que je ne mange pas le matin ? C’est fou ! » dit-il, ému.
Vous savez qu’il serait très déçu, si Rivière ne pensait pas à lui.
— « Je crois qu’il veut que tu manges le matin, il dit que c’est le repas le plus important de la journée, le petit-déjeuner, le matin. »
Vous vous souriez, il t’embrasse et se met à son bureau. Vous travaillez à vos bureaux, sur vos machines, en silence. Vous ne vous voyez pas mais la présence de l’autre vous stimule, vous électrise. Elle vous remplit de joie. (extrait)
Providence
C’était il y a trois jours. Le dimanche, vous n’avez pas parlé. Tu es resté avec ton père et Jude.
Le lundi, tu as attendu d’être seul avec elle, et gêné as demandé pardon et elle t’a regardé, amusée et surprise. Elle t’a souri. Tout allait bien. Hier, le mardi, vous avez été heureux, ensemble. Et ce matin, tu sors du car.
À l’entrée du lycée, tu croises Alice que tu embrasses. Tu croises d’autres amis dont je n’ai pas parlé. Tu les salues, fraternel et joyeux, car tu aimes que le ciel soit limpide. En longeant le premier bâtiment, tu distingues la silhouette de Victor et tu dis à Alice et aux autres que tu reviens très vite et ils te voient entrer, dans la bibliothèque. Ils te voient approcher de Victor, doucement, le surprendre quand tu mets tes mains froides sur ses yeux, et quand il se retourne, le prendre dans tes bras, l’embrasser, sur le front, sur les joues. Puis dans la salle de classe, après que tu as embrassé Alice, au pied de l’escalier, tu travailles. Tu assistes au cours du professeur auprès duquel tu aimes passer du temps, après le cours. Et aujourd’hui, tu es joyeux, oui, tu es complet et transporté, parce que tu sais que tout, autour de toi, s’équilibre. Mais ce que tu ignores, c’est que demain, tu auras perdu tes deux parents. développer
Le mercredi après-midi, c’est relâche. Les cours à peine finis, sans déjeuner à la cantine, tu rentres. Tu sais que Jude est là, tu veux passer du temps avec elle. Tu la retrouves, sur le parking du lycée, dehors qui se tient droite, tout près de sa voiture. Les parents des autres enfants la saluent avec respect, craintifs, discrets aussi. Tu avances vers elle, grand sourire. Elle avance vers toi. Et puis tu es surpris lorsque tu vois la portière du passager qui s’ouvre, ton père sortir de la voiture, vêtements de loisirs. Ils sont venus tous les deux. Cela n’arrive jamais. D’ailleurs ton père d’habitude évite soigneusement ce parking. Il s’avance vers toi, lui aussi, près de Jude. Toi, tu les regardes, émus, figé. Tu penses que tu croyais être heureux, avant ça, mais que seulement maintenant, ta joie est pleine et tu vas dans leurs bras. Jude t’enlace, elle t’embrasse sur une joue, sur la bouche. Ton père t’embrasse aussi. Tu lui demandes ce qu’il fait là. Il te demande pourquoi tu lui demandes, s’il a le droit. Tu ris. Autour, les parents de tes camarades vous regardent, tristes.
Vous montez, joyeux, dans la voiture. Tu te mets à l’arrière. Jude conduit. Tu demandes où vous allez, comme ça. Ton père tourne la tête vers toi, sourit. Tu insistes, joueur, sachant qu’en d’autres circonstances il céderait, oui — parce qu’il peine à te dire non — sachant que là, jamais, il ne vendrait la mèche — Jude le surveille, du coin de l’œil, attentive — et toi tu t’amuses à créer cette malice, entre eux deux et pour toi. Tu regardes les grands arbres, sur les bords de la route, à travers le pare-brise, le ciel bleu, puis tu regardes les champs, par la vitre, cherchant le rythme des pylônes. Et peu à peu, le chemin est moins connu. Tu es peut-être venu ici, une fois, deux fois, tu ne te souviens plus. Jude engage la voiture sur un chemin de terre. Tu penses que c’est la bonne voiture, haute, large, et quatre routes motrices, pour ce genre de parcours.
La voiture à l’arrêt, une grande bâtisse au loin, le ventre vide, tu sors. Vous sortez. Tu es dehors, dans le froid de l’hiver — mais bientôt le printemps — chauffé par le soleil, inquiet. Car cet endroit te fait peur, tu aimes le familier. Alors tu demandes où tu es. Ton père attrape ta main et tu attrapes la sienne — la chaleur de sa peau sur la tienne, et puis vous suivez Jude qui va vers la bâtisse et derrière la bâtisse, tu aperçois un lac. Vous saluez les gens qui sont là, vous accueillent en disant le prénom de ton père et vous conduisent, au bord de l’eau. Ton père te regarde, rassurant, il demande si tu as déjà pêché. Tu dis que non, qu’il sait. Ton père t’explique que ce midi, vous mangerez des sandwichs, que Jude a préparés, mais que ce soir, il est bien décidé que vous mangiez le fruit de votre pêche. Et puis il te montre des fauteuils, toile imprimée, où vous vous asseyez tandis que Jude, le cœur serré, va chercher la glacière. Elle te connaît si bien, elle sait que tu as peur. Ton père te montre comment on fait pour préparer une ligne. Vous avez installé les trois cannes, avec Jude, et vous mangez, maintenant, vos sandwichs. Tu te régales. Et peu à peu, ce lac qui te fait peur, tu l’apprivoises, dedans. Tu comprends sa quiétude, tu aimes ton père et Jude autour, tu aimes qu’ils attrapent les poissons. Bredouille parfois tu lances une grimace à ton père qui en attrape un autre. Et vous parlez.
— « Ça te plaît, mon grand ?
— Oui, lui réponds-tu tranquille, souriant.
— Mais cet endroit te plaît ? »
Tu hésites à répondre. Tu voudrais dire que oui, mais tu n’es pas trop sûr. Il reprend.
— « Tu sais, parfois, il faut laisser passer du temps, le temps que ce lieu inconnu, que cette personne nouvelle, ce contexte inédit te deviennent familiers, pour savoir, si tu t’y sens à l’aise, si tu t’y plais, si tu l’aimes. »
Tu as réfléchi, et tu lui as dit oui.
— « Par exemple, l’année prochaine, tu quitteras la maison. Tu quitteras tes amis. Et tu vivras dans une nouvelle ville, plus grande, tu feras de nouvelles rencontres. »
Tu réfléchis.
— « Jamais il ne faudra que tu rejettes ce qui arrive, d’abord. Il faudra l’accueillir, le faire tien et seulement alors tu sauras. Regarde, par exemple, si nous venions ici, pêcher, sur ce lac, depuis ton premier jour, tu l’aimerais sans hésiter, ce lac, tu supplierais d’y venir, chaque week-end, non ? »
Tu regardes autour de toi, tu hésites, tu regardes ton père, tu mets ton hésitation en scène, une petite moue, tu souris. Il reprend, ne cédant pas à ton sourire pourtant irrésistible, grave. Toi désormais, tu la connais, cette gravité, tu la respectes et grave, tu l’invites à poursuivre.
— « Je te promets, Axel. Tu vois, ce lac, j’y suis souvent venu, enfant. Je l’avais oublié, comme parfois on oublie son enfance, et il y a une semaine, je suis passé par là. Je me suis souvenu, que je venais ici, je me suis arrêté, j’ai regardé, autour de moi, j’ai vu que rien n’avait changé, je me suis vu jouant, avec mon père, ou pêchant avec lui. C’est mon lac. Je suis bien là. Parce que je l’ai fait mien. Parce que j’ai pris le temps qu’il fallait pour le faire. »
Tu laisses un instant flotter les mots de ton père, dans ton esprit, tête basse, tu comprends ce qu’il dit, tu l’intègres, tu l’ingères et puis tu le regardes, sincère. Tu as compris.
— « Je crois que je comprends, oui. »
Il s’est tourné vers toi, effacée la gravité sur son visage l’air de dire que maintenant, tu peux rire, que tu peux dire n’importe quoi, c’est fini. Alors tu prends cet air sérieux, infiniment sérieux qui te sert comme chaque fois de rampe de lancement, quand tu veux plaisanter, et puis tu lui demandes, d’une voix qui s’emporte peu à peu, comment il se fait, comment il est possible qu’aucun poisson ne morde, à ta ligne, alors que tu fais bien, que tu es très patient. Pourquoi ? Et tu lui dis, hilare, en faisant de grands gestes, la voix haute, que le lac ne t’aime pas, que c’est lui qui te craint et tu harangues le lac, le poing haut, tu le sommes qu’il te donne. Vous riez. Et lorsque tu essaies, encore, de préparer ta ligne, d’attraper un poisson, il va vers toi et calme t’adresse ces cinq mots qui longtemps, dès demain, résonneront dans ta tête, d’un écho singulier, je regrette. Ne cède pas au destin. Et il t’aide. (extrait)
Valéry, manifeste
Entrer dans un foyer, pour toi, constitue une épreuve. Un foyer, à tes yeux, c’est un lieu de violence, où les mots échangés sont trop durs ou trop froids, trop souvent excessifs ou injustes, et alors tu y gardes le silence, fuyant les prédateurs comme ceux qui sont chassés. Mais dans cette maison, où tu rentres tout juste, tu ne pressens aucune hostilité. Et lorsque tu vois Valéry et son père, au contraire, agir auprès de l’autre, tu perçois un homme bon, qui semble aimer son fils et ça t’émeut, bien sûr. D’observer de tes yeux et réel ce qui ressemble à un mensonge, à une image de film. Lentement tu avances dans la maison et d’abord, ce qui te frappe, c’est l’ordre. Bien sûr il y a des cartons. Ils viennent d’emménager. Mais ce qui est sorti, et qui semble compter — précieux, est soigneusement rangé, disposé sur des meubles. Et puis tu vois quelques photos, sur une petite table, dans le salon. Et le père vous demande si vous avez mangé. Valéry dit que non. « Mettez la table, alors, je prépare quelque chose. » développer
Ce moment que tu passes avec lui est précieux, si précieux, bientôt indélébile — votre entente. Autant qu’il peut être douloureux — ces quinze ans à l’attendre, cet homme, à goûter ce que ma vie serait, te dis-tu.
Les pâtes bouillent, et puis les légumes dorent. Et bientôt le repas sera prêt. Il appelle tes amis, pour qu’ils se mettent à table, et ensemble vous apportez les plats. Il faut voir le regard que tu lances à Alice, maintenant, sidéré, les mains prises par ton plat, que tu poses devant eux. Cette stupeur, dans ton regard, qu’elle reconnaît, qui la bouleverse car elle voit maintenant qui tu aurais pu être, heureux, auprès d’autres — et d’ailleurs, elle comprend que, toi aussi, tu vois. Délicate, elle regarde le repas, et elle vous complimente. Délicate, d’un regard, elle te complimente, toi, pour plus que le repas. Alors le père te regarde, te sourit. Tu l’observes sourire. Trop ému, ne trouvant pas tes mots, tu lui lances seulement un de tes regards graves qu’il accueille, bienveillant. « Servons-nous », te dit-il. Il vous sert. Vous mangez.
Tout au long du repas, il est question de toi. Valéry et Alice ont fait bloc pour que toutes tes esquives soient vouées à l’échec, et pourtant tu esquives, tu éludes avec art. Et bien sûr, devenir le sujet dont on parle te gêne — et devoir écouter ces souvenirs passés qu’on exhume, tes succès à l’école, le respect qu’on te voue. Mais tu n’as jamais peur, lorsqu’ils parlent — qu’elle raconte, car personne n’évoquera ta famille. C’est pourtant difficile de ne pas évoquer sa famille lorsqu’on parle d’un garçon de quinze ans. Difficile. Et tu ne sauras pas si Alice avait alerté Valéry, si elle lui avait dit de garder le silence. Ou s’il avait compris, sans elle. Mais tu les remercies, et alors tu accordes un peu plus ta confiance à ceux auprès desquels tu manges, qui partagent ce qu’ils mangent avec toi.
Le repas achevé, vous quatre vous levez, débarrassez la table, et le père vous demande, à vous deux qui rentrerez, plus tard, l’heure à laquelle il doit vous reconduire. Toi tu regardes Alice répondre dix-huit heures. Tu confirmes, moins farouche, la voix calme. « Dix-huit heures, c’est bien. Merci monsieur. » L’homme avec qui tu as fait le repas, tout à l’heure, que tu appelles monsieur… Que tu es émouvant, Valéry, lorsque tu parles sans mots, que tu dis l’air de ne pas le dire, feignant l’usage, que tu lui accordes ta confiance, à présent, et que tu le respectes. Il vous regarde, un sourire délicat, un signe qui dit son accord, que vous pouvez compter sur lui, et puis il prend les clefs de sa voiture, met son manteau. Il sort.
Vous êtes seuls, maintenant. Sans lui, tu te sens seul, maintenant. Alice t’observe le regarder partir. Elle t’approche, elle caresse tes cheveux, elle regarde Valéry. « On lui montre tes instruments, Valéry ? — Oui, viens. » Et ton ami attrape ta main, vous allez dans sa chambre.
Long couloir sombre, quelques portes, jusqu’à la sienne, qu’il ouvre. Chambre grande, odeur de rose. Un petit lit une place, comme est le tien, dans ta chambre, de la moquette au sol, un peu épaisse, des étagères où sont rangés beaucoup de livres, quelques photos, et des claviers, touches blanches et noires, ornés de beaucoup de boutons. « Voilà », te lance-t-il, exalté, accompagnant son mot d’un geste théâtral. Alors, il allume ses synthés, comme il dit, l’ordinateur et deux enceintes, une petite table de mixage et il te montre comment tout ça fonctionne — joyeux, il fait sa conférence, il dit des mots savants. Peu à peu tu te laisses emporter par ses mots, sa chaleur, et la joie qui te semble le gagner, lorsqu’il s’adresse à toi —Alice t’observe naître. Il t’enjoint de t’asseoir, à ton tour, comme ton amie plus tôt, sur le siège, devant ses instruments. Là, il enjoint que tu presses sur les touches des claviers, « que tu éprouves les sons toi-même », dit-il, « c’est le plus important ». Tes doigts sont certes fins, mais ils n’ont pas joué, ils n’ont jamais appris, et tu te sens idiot tandis que tu essaies. Tu te tournes vers lui, tu souris l’air de dire que c’est bon, que tu as essayé. Il insiste — tu dois continuer — soutenu par Alice et ils te montrent, ensemble, eux qui savent comment faire — à qui l’on a montré. Alors tu joues quelques notes simples, peut-être maladroit, mais concentré surtout, où tu plonges, et que lui enregistre en pressant sur une touche. Mélodie achevée, tu es libre et tu peux te lever.
Debout au milieu de sa chambre, à présent, tu observes ses meubles, ses objets, effleures les draps du lit, tandis qu’ils jouent encore. Et quand tu te retournes, tu les vois, tous les deux, affairés, Alice assise où tu étais plus tôt et lui penché sur elle, en contact avec elle, comme on est lorsque l’on est amant. En confiance, tu t’assois sur le lit, t’y allonges, tu déposes ton visage sur la taie d’oreiller dont tu respires l’odeur et tu fermes les yeux. Sommeil.
Tu n’as dormi qu’un court instant, peut-être dix minutes, lorsque tes deux amis approchent, disent ton nom doucement, pour ne pas te brusquer. Quand tu ouvres les yeux, tu te sens engourdi et tu vois leurs visages, et puis tu vois la chambre et tu te sens gêné. De t’être assoupi là, où tu n’es pas chez toi — qui n’est pas la maison où tu dors, de t’être trop donné. Tu te redresses, tu t’assois, frottes tes yeux et te lèves. Alice voudrait ralentir ton réveil, qu’il soit doux. Alors, elle s’assoit sur la moquette épaisse, où elle s’adosse au lit et main tendue vers toi, elle offre que tu t’allonges encore, que tu poses ton visage sur ses jambes. Valéry accompagne ses gestes, et il s’assoit aussi, contre elle, mais de l’autre côté. Et ainsi vous parlez, elle caresse tes cheveux. Et tu apprends de lui, tu le vois apprendre d’elle, qui lui pose des questions. Et lorsqu’il lui répond, il vous dit le métier de son père, explique que ce métier l’oblige, qu’il doit le suivre, régulièrement changer de ville. « Tous les trois ou quatre ans. » Alice demande si ces changements lui plaisent et il semble hésiter, avant de livrer sa réponse. « Je ne sais pas, je pense que c’est difficile de partir, de laisser ses amis, à chaque fois, mais comme ça, tu ne les oublies jamais, c’est beau aussi. Et puis à chaque fois qu’on arrive quelque part, c’est l’occasion de rencontrer d’autres personnes, des gens encore plus merveilleux que les précédents, non ? » Et puis il continue. « Je suis vraiment très heureux de vous avoir rencontrés, tous les deux, je voulais vous le dire, et je voudrais que nous nous aimions, longtemps, que nous passions beaucoup de temps ensemble. »
Il aurait pu les dire en souriant, ces mots, léger, mais il ne sourit pas, vous le voyez ému. Et d’abord, tu admires qu’il les ait prononcés si clairement, qu’il se soit déclaré après à peine trois jours passés à vous connaître. Tu penses aussi que c’est ainsi qu’il parle, par ses incantations, lorsqu’il est grave, qu’il ralentit le temps — comme il se présentait à la classe, l’avant-veille. Et peu à peu, ses mots, son émotion et sa déclaration te submergent. Ils te gênent et là, tu la chéris, la gêne, tu la goûtes, tu y plonges, tu l’abondes, tu t’y donnes, mais sans rien lui répondre — sans avouer que tu l’aimes en retour — seulement un regard. Alice sourit vers lui. Elle dépose un baiser sur sa joue. « Nous nous aimerons longtemps, et nous passerons beaucoup de temps ensemble, j’en suis certaine. » Elle a parlé pour toi et tu penses qu’ils ont eu de la chance, tous les deux, que leurs parents sont bons. Tu penses qu’ils se ressemblent alors, qu’ils se comprennent, et qu’ils savent se laisser traverser, accepter la lumière. Et Alice te fait signe qu’elle va se lever. « Je reviens », vous dit-elle. Alors tu te redresses et sa place à peine libre, Valéry la reprend aussitôt. Il t’invite à poser ton visage sur ses jambes. Tu hésites un instant, inquiet de t’offrir à nouveau, comme plus tôt sur le lit, où tu avais dormi. Alors, il pose une main sur ton visage et puis tu t’abandonnes, et tu te donnes à lui. Il caresse tes cheveux. Jouissance.
Le silence, entre vous. L’intensité du silence. Et pour toi, le vertige de ces mots que tu t’apprêtes à dire — ta réponse — en secret et sans elle, que tu dis et redis, dans ta tête, et puis que tu retiens, non pas que tu aies honte, de les dire, mais que tu t’y sentes étranger, parmi ces mots, que tu n’y retrouves pas ce garçon que tu es, depuis quinze ans, parmi ces mots — mais alors, d’où te vient le désir de la faire, cette réponse ? Et tu te recroquevilles, tu te mets de côté, et tu passes une main sous ta tête, que tu mets sur sa jambe. Et Alice vous rejoint.
Il fait encore jour, grand ciel bleu d’une belle journée d’hiver tandis que vous êtes installés, tous les trois, autour de la grande table où vous mangiez plus tôt, alors accompagnés du père. Valéry a sorti des biscuits, le goûter, et tu goûtes le silence, dans la maison, le calme et le jardin paisible, dehors, bien rangé, l’ordre partout. Devant vous, des cahiers et des livres. Parce que vous devez étudier maintenant, et c’est toi qui l’as dit. Et toi tu étudies, bien sûr, tu travailles, mais il te semble aussi faire cours. Car oui, très souvent Valéry te chuchote une question et tu dois te lever, te mettre derrière lui, regarder ses cahiers et répondre, prodiguer tes conseils. Parfois, ce n’est pas toi à qui il adresse sa question, il chuchote à Alice et tu relèves la tête, tu écoutes la réponse qu’elle lui fait et puis tu interviens, tu précises, tu développes. Et elle t’écoute parler, elle te regarde éclore, elle te voit t’épanouir. Ce n’est pas que tu sois réservé, Valéry, au lycée, au contraire. Tous t’écoutent, tous t’admirent, tous craignent tes colères, savent que tu te battras, lorsque c’est nécessaire, certains t’aiment. Mais aiment quoi ? pense-t-elle. Peut-être ton armure plus que celui qu’à présent tu dévoiles, ce garçon sans défense qu’à elle seule tu avais dévoilé, jusque-là. Et lorsque vos regards se croisent, le sien à elle, le tien, vous savez.
Et la nuit est tombée. Le temps, cet ennemi. Vous partirez bientôt et ta gorge se noue et tu t’isoles un peu. Ainsi tu espères que le choc soit moins cru, quand tu seras rentré, dans la maison où tu voudrais ne plus dormir. Tu es seul, debout devant la grande baie du salon, lorsqu’on ouvre la porte et tu tournes la tête. Tu vois entrer le père. Il regarde vers eux, aperçoit les cahiers sur la table puis regarde vers toi et te lance un sourire si léger qu’il ne t’oblige à rien. Et tu le dévisages, mais sans le regarder, visage inexpressif, absenté, en détresse, toutes ces choses à la fois, et tu penses qu’il vaut mieux n’être jamais heureux, que de risquer de perdre. Alors tu vas vers la grande table, tu rassembles tes affaires que brusque, tu ranges dans ton sac et tu regardes Alice, sèchement l’interpelles. « On y va ? »
C’est difficile pour eux, tu sais, de voir ce garçon qu’ils accueillent et qu’ils aiment soudain les ignorer et partir sans un mot, de comprendre qu’il les laisserait ainsi parce que lui-même alors se sentirait laissé.
Tu regardes Valéry, tu lui dis au revoir, voix de robot, comme si tes mots étaient sans corps, creux, vides, comme si ces quelques heures devaient ne pas compter. « À demain, alors, merci pour le goûter. » Tu te tournes vers Alice et strict te répètes, « alors on y va ? » Elle se tourne vers toi, un regard furieux et dans ses yeux, tu lis qu’elle connaît ta souffrance — je connais ta souffrance mais cette souffrance n’excuse pas tout, tu sais, qu’ici tu n’es pas obligé d’imposer la douleur qu’on t’impose où tu dors et qu’eux souffrent, peut-être, devant toi, maintenant. Et alors tu t’effondres en toi-même, car tu sais qu’elle voit clair, ton amie. Valéry la regarde, te regarde, vous sourit comme à une seule personne, pour vous réconcilier, et il avance vers toi, et puis il s’offre à toi, il t’offre sa quiétude, il te prend dans ses bras. « À demain, oui. » Sans répondre à son geste, resté droit, tu te libères de lui et tu attrapes ton sac, tu sors de la maison où tu les attends, seul — que le père et Alice te rejoignent.
À présent dans l’habitacle de la voiture. Tu es assis devant, malgré toi, désolé et épris d’une colère dont tu ignores la source, dont tu ne sais que faire, vers qui la diriger. Le père vient à peine de monter. Lentement il s’installe. Son de cuir, sons épais, rassurants que tu veux rejeter par tes cris, pour dire que la confiance abîme. À présent, le silence — un silence qui t’oppresse, l’homme qui démarre le moteur, que tu entends à peine. Marche arrière. Vous quittez le parking. Maintenant, tu t’agites, tu t’inquiètes comme celui qui n’aurait pas osé, qui laisserait en suspens ce qu’il venait résoudre, qu’il s’apprêterait à perdre. Une sensation d’inachevé qui te heurte, te submerge dont tu dois te défaire. Alors, tu l’arrêtes, défaisant ta ceinture — une alarme — et tu ouvres la portière, sans attendre, tandis que la voiture roule encore. « Pardon, un instant, j’ai oublié quelque chose, je reviens. » Le père pile, étonné, et t’observe descendre. Par la portière ouverte, tu lui répètes « pardon, je reviens je fais vite ». Tu vas vers la porte d’entrée, tu y frappes sans entrer, tu frappes fort, tu insistes et un instant plus tard Valéry ouvre, surpris, il regarde la voiture à l’arrêt et la portière ouverte. Tu entres.
Un moment est passé où ils t’ont attendu sans comprendre. Et peut-être Alice a-t-elle imaginé que tu serais retourné t’excuser, l’embrasser, le couvrir de baisers, ce garçon que tu aimes. Le père, lui, n’a pas su, il a été patient. Et lorsque tu quittes la maison, que tu fermes derrière toi, ils voient ton émotion, si claire, sur ton visage. Tu regagnes la voiture où tu trembles en silence, l’air hagard.
« Il faut que vous me disiez le chemin », demande l’homme près de toi, se tournant vers Alice — peut-être par égard, pour te laisser tranquille. Elle répond chaleureuse, elle endosse à nouveau ta froideur. Et alors elle explique que le plus simple sera de commencer par elle. L’homme suit les directions qu’elle donne. Et parfois tu l’entends vaguement lui parler, des mots sans poids — volontairement légers — par contraste, juste le plaisir de l’échange et d’écouter la voix de l’autre. Et puis enfin, « merci pour votre accueil, et pour le déjeuner, c’était vraiment un bel après-midi », la voilà arrivée. Elle sort de la voiture, t’adresse à peine un mot et te regarde à peine, affectée. Elle lui dit au revoir, « merci encore, à bientôt », et vous laisse.
Tu es seul avec l’adulte, dans l’habitacle de la voiture, dans le silence, maintenant, ne sachant pas quoi faire et peut-être pensant que tu as tout perdu.
« Valéry, il faut que tu me guides », te dit-il, la voiture à l’arrêt, et tout juste rejointe l’entrée du lotissement qui mène à la maison d’Alice, ne sachant pas vers où aller. Toi tu es égaré, dans un monde sans réponse, où chaque nuit te conduit fatalement où tu dors. Et tu sens la panique te gagner, tu ouvres la portière et tu sors, sans un mot, brusquement. Et sans même y penser, ton sac à bout de bras, tu prends une direction, n’importe laquelle oui, qu’importe, pourvu que maintenant tu échappes, à ta vie, à Alice, à cet homme, à tes espoirs déçus. Il sort de la voiture, inquiet prononce ton nom. Il marche derrière toi en répétant ton nom. Tu te tournes vers lui, le regardes perdu et lui dis larmes aux yeux que tu n’habites pas loin, que tu feras le reste du chemin à pied et que tu aimes marcher, de toute façon. Il insiste, paternel et alors très sèchement, criant presque, tu le sommes qu’il te laisse. « Je vous ai dit que je rentrais à pied. » Tu lui tournes le dos, tu pars et tu t’effondres.
Dans la nuit, le néant.
Demain matin, lorsqu’Alice prendra le car, elle trouvera vos deux sièges laissés libres. Et en quittant le car, sur le parking du lycée, elle entendra son nom. Le père de Valéry vous aura attendus, il voudra te parler, pour savoir si ça va, mais il ne verra qu’elle. Elle demandera alors pourquoi il veut te voir. Il expliquera la veille, sans expliquer vraiment et Alice lui cachera que ce qu’il dit l’inquiète, que jamais tu n’avais manqué un jour d’école, ni le car, voulant être rassurante. Et puis ils se laisseront.
En entrant, dans la cour, Alice ne te trouve pas. Elle interroge quelques élèves, autour, veut savoir s’ils t’ont vu, lorsqu’elle voit Valéry. Elle va vers son ami, masquant mal qu’elle s’alarme et tandis qu’elle approche, Valéry lit en elle. Il demande si ça va.
— « Ça va, Alice ?
— Oui. Dis, tu as vu Valéry ?
— Oui, il est à la bibliothèque, il travaille.
— Et tu lui as parlé ?
— Oui bien sûr.
— Il va bien ?
— Bien sûr, oui. Mais pourquoi tu demandes ?
— Non, pour rien, comme ça. Je vais lui dire bonjour, alors.
— Attends, je t’accompagne. »
Et ils sont côte à côte et elle ne comprend pas, l’inquiétude dans les yeux de son père, la quiétude de son fils à côté. Passée la porte vitrée de la bibliothèque, elle te voit, assis à un bureau dans la lumière d’hiver et tout près des grandes baies qui ouvrent vers le dehors, visage calme, concentré et si beau, inégalément beau, même. Elle marque une pause, le temps de se dire que le pire est passé, que tu es là, vivant, et puis elle te rejoint. « Mais ça va ? » Tu lèves la tête vers elle, la regardes d’abord concentré, et puis un peu surpris comprenant qu’elle s’inquiète. « Oui pourquoi ? » Alice regarde Valéry et elle n’ose demander qu’il vous laisse.
— « Mais tu es bien rentré, hier ?
— Non, j’ai fait une crise de panique et j’ai laissé le père de Valéry en plan.
— Mais maintenant, ça va ?
— Ça va, oui, maintenant. »
Alice laisse passer une seconde.
— « Mais il s’inquiète, tu sais.
— Comment ça ?
— Il t’attendait, sur le parking, ce matin.
— C’est vrai ? »
L’émotion que tu puisses inquiéter qui t’apaise, l’inquiétude que tu aies pu blesser, dans tes yeux, qu’elle rassure.
— « Ce n’est pas grave, mais il faudra que tu lui dises que ça va, quand même, non ?
— Oui, tu as raison, pardon. »
Valéry regrettant le peu de mots d’Alice plus tôt, apprenant l’inquiétude de son père et ton comportement, la veille, vous regarde surpris. Il se sent protégé, et il regrette de l’être. Il regrette que, lui-même disant tout, à lui personne ne parle. Sûrement aurait-il préféré que vous lui accordiez vos confiances, tous les trois. Tu regardes vers lui, désolé. Et puis tu lui demandes son téléphone. « Valéry, pardon, je voudrais appeler ton père. Parce que hier, j’ai fait une crise de panique, dans la voiture, en attendant ta réponse, et puis je l’ai laissé en plan, et je ne voudrais pas qu’il s’inquiète, là. » Tu tends la main vers lui, paume ouverte, vers le ciel. Il prend son téléphone qu’il te tend, dit son code, que tu tapes. Tu trouves le nom du père, dans les contacts, ses favoris, tout près du tien, papa — ton père alors, et tu appelles, devant tes deux amis. Et Alice te regarde stupéfaite, non seulement que tu l’appelles, bien sûr, mais devant eux, surtout, qui écouteront tes mots. L’homme décroche. « […] Non, pardon, c’est Valéry. […] Non, enfin l’autre, pardon. Je suis l’ami de votre fils. […] Oui je vais bien monsieur, merci. […] Oui, je suis bien rentré. Pardon de vous déranger. Je voulais juste vous dire que je suis désolé, pour hier, vous dire que je m’excuse. […] Non, c’est moi qui suis désolé, vraiment. En fait, j’ai fait une crise de panique, malheureusement ça m’arrive quelques fois quand je suis trop ému, et hier vous avez été si accueillants, c’était si beau, chez vous, et j’étais si heureux qu’en rentrant je me suis senti abattu, et j’ai commencé à m’inquiéter. […] Oui, c’est vrai. […] Merci. […] Oui, mais je voulais vous dire que je ferai tout ce qu’il faut pour que ça n’arrive plus, si vous voulez encore de moi chez vous. […] D’accord, merci. […] Merci, vraiment. […] Vous voulez parler à Valéry ? […] D’accord alors, je lui dis, à bientôt. […] Oui, au revoir. » Et tu raccroches. Sidération sur son visage. Elle t’observe, libérée du fardeau d’endosser ta tristesse, te sourit. Tu souris en retour, désolé, surtout fier.
Hier, dans la voiture, au moment de rentrer, au moment où le père de Valéry manœuvrait la voiture, devant chez lui, sur le parking, tu es sorti d’un coup, chercher ce que tu avais oublié, dans la maison, ta demande. Parce qu’une heure plus tôt, le visage alors posé sur ses jambes, tu avais voulu lui dire, à ton ami, ces mots desquels alors tu te sentais étranger, et qui depuis cognaient en toi, exponentiels. Alors devant lui, dans l’entrée, son père et Alice qui t’attendaient dehors, surpris, tu lui avais parlé, et tu avais pleuré. « Valéry, pour toi, je veux être fort, je veux changer, mais la peur que tu me laisses me submerge, c’est le destin qu’ils m’ont écrit, et où je me complais, indignement. Je me complais dans la peur, qui autorise que je blesse et permet que j’en jouisse. Et pour toi, désormais, je veux changer si tu m’accueilles pleinement dans ta vie, pour les trois ans qui viennent, tant que tu seras là. Pleinement, sans réserve, et alors on se donne tout, on se prend tout, on est la même personne. On est nés la même année, tous les deux, et cette année-là, seulement deux Valérys sont nés. J’ai vérifié tu sais. C’est nous. Alors si tu le veux, maintenant, on devient le destin l’un de l’autre. » Valéry, que tu étouffais dans tes bras tandis que tu parlais pleurant avait voulu répondre, et tu lui avais dit que sa réponse l’engage, et tu lui avais dit qu’il répondrait, demain. « On se donne tout, moi je te donne Alice, et puis on se prend tout, et tu me donnes ton père, on est la même personne, et un destin commun, tu comprends ? Tu comprends l’étendue de ces mots ? On prend la nuit pour y penser, d’accord ? » Et tu l’avais laissé, comme ça, sans laisser aucun temps pour la moindre réponse, tu étais ressorti de chez lui, bouleversé. (extrait)
Mickaël-monde
Bonjour Miki,
Hier soir, le jeudi, ton ami a dormi dans ta chambre et puis toi dans ses bras. Un peu plus tôt, l’après-midi, que tu avais passée, à jardiner avec ton père, tu semblais absenté et ton père n’a rien dit. Il a compris que votre échange, un peu plus tôt, t’avait frappé, sans bien comprendre pourquoi. Ou peut-être que si, mais alors il n’a pas su trouver les mots justes pour te dire. Et ce matin, vous avez travaillé, tous les trois ou plutôt tu les as observés travailler tous les deux tout en faisant ta part sur les courts de tennis, machinal. Et tu as vu ce que tu avais su, la veille. Qu’Albert désire — apprendre, faire. Et la mélancolie n’a pas duré longtemps, non ce n’est pas ton genre. Tu as plutôt analysé — leurs gestes, leurs regards. Et tu t’es souvenu de cette conversation avec Albert, la veille, le soir, lorsque tu lui avais demandé pourquoi il souhaitait vous aider, comme ça. Qu’il t’avait répondu, surpris que tu demandes, qu’il doive se justifier, pensant même un instant déranger, qu’il n’a rien d’autre à faire, qu’il aime parler avec ton père, et rester près de toi. Que tu lui avais dit que tu étais heureux aussi, avec lui, près de toi. développer
Et puis le week-end est passé, où tu as vu tes deux amis, où tu as vu la mère d’Alice, et puis ton père. Et les grandes questions des deux jours précédents, trop grandes pour toi, peut-être, et peut-être trop grandes pour quiconque, dans ce cas devenues futiles, ainsi que tu te dis, finissent par s’estomper, te laissant sans réponse. (extrait)